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La marche, un mouvement essentiel

Marcher, être libre de se déplacer et d'explorer : comment la marche tisse-t-elle notre relation au monde ?

Étude de la marche d'un enfant, chronophotographie d'Etienne-Jules Marey, vers 1890 © Collège de France. Archives. Fonds Marey (3PV699)

Invitation de lecture

La marche est une fonction fascinante qui permet notre autonomie et le plaisir de se mouvoir dans le monde. Malgré son caractère essentiel il faut souvent attendre que nous rencontrions un problème (douleurs articulaires, accident, maladie, etc.) pour que nous prenions pleinement conscience de son importance. Je vous partage ici quelques réflexions pour mieux connaître cette fonction que l'on pense souvent automatique alors qu'elle nécessite une grande coordination de notre attention.

La marche, mouvement automatique ou contrôlé ?

Pour les personnes qui s'intéressent au mouvement, la marche est souvent perçue comme étant une "chute qui se rattrape et se perpétue". Étonnement, ce sont les robots qui pourront nous aider à comprendre ce principe de chute perpétuelle : les roboticiens ont en effet étudié la marche humaine pour créer robots marcheurs innovants (1).


Le passive dynamic walker est issu d'une génération de robots qui imite la marche humaine (2). Jusqu'à quel point sa marche ressemble-t-elle à la nôtre ?


Le robot minimaliste dans cette vidéo est remarquable car il marche grâce à une dynamique qui n’est animée par aucun système de commande informatique : bref, un robot marchant sans "cerveau". Son agencement "corporel" et l’aide de la faible pente sur laquelle il est placé sont suffisants pour produire sa marche qui a les bénéfices d'être légère, peu énergivore et sans contrôle.

Ces recherches en robotique ont entraîné des questionnements importants sur la compréhension du psychisme humain (3) : nous pourrions agir dans notre environnement sans nécessiter de représentations mentales ! Le corps pourrait ainsi abriter la fonction de la marche indépendamment de notre contrôle cognitif : on observe en effet que des neurones situés dans la moelle épinière permettent l'autonomie de la marche sans que notre cerveau n'ait à intervenir (4).

Toutefois la marche de ces robots ne nous ressemble que partiellement. Certes ils peuvent se déplacer sur des terrains simples mais ils sont incapables d’évoluer dans des environnements complexes. Pour cela ils auraient besoin de capteurs ("sens de la perception") et de systèmes informatiques (un "cerveau" traitant les informations) pour savoir s'adapter à des environnements irréguliers. Ce besoin de contrôle de la marche est également valable pour nous : on observe que plus le terrain est complexe et plus nous utilisons nos capacités cognitives pendant la marche (5).

Ainsi, la marche est une fonction qui associe aussi bien des mécanismes automatiques que des mécanismes de contrôle. Comment alors, avec toute la variété de mécanismes qu'elle nécessite, la marche peut-elle nous paraître si simple au quotidien ?

Les mécanismes simplexes de la marche

Pour expliquer comment des mécanismes si différents réussissent à interagir pour produire notre marche tout en nous laissant un sentiment d'aisance et de simplicité, Alain Berthoz met en évidence les mécanismes simplexes dont nous bénéficions (6) :

" Devant cette complexité, l’évolution nous a doté de nombreux mécanismes qui nous permettent de nous orienter, d’évoluer, de naviguer dans l’espace, d’y partager avec autrui des expériences et des émotions. Ces mécanismes, que j’appelle les mécanismes simplexes, ne sont pas des simplifications extrêmes, mais des détours qui parfois empruntent des complexités apparentes, qui permettent au cerveau d’être efficace et de résoudre ces questions rapidement. " Alain Berthoz

L'un des mécanismes simplexes de la marche est la recherche d'un référentiel stable pendant le mouvement. Pour le comprendre, observons notre port de tête pendant la marche : sûrement pouvez-vous observer que la stabilité de votre tête est maintenue alors même que le reste de votre corps réalise des mouvements amples. Cela permet de stabiliser le système vestibulaire situé dans votre oreille interne dont la fonction est de vous permettre de ressentir votre orientation dans l'espace (votre "fil à plomb" intérieur).

La stabilité de votre tête est importante pour votre orientation tout comme pour votre situation dans le monde : elle permet de stabiliser votre regard et vous pouvez ainsi situer votre action dans l'espace. Ces mécanismes simplexes sont très répandus dans le monde du vivant et nous pouvons les observer également chez les animaux.


Dans la course de ce guépard vous pourrez observer les mécanismes simplexes évoqués : la tête et le regard restent stables alors que le balancement du reste du corps est ample et élastique. Par ailleurs, observons aussi sa colonne vertébrale, la mobilité du rachis étant aussi importante à sa course qu'à notre marche.

L'attention, une ressource pour la marche

Dans la vidéo ci-dessus, je trouve fascinant d'observer combien ce guépard semble initier tout son mouvement depuis son regard. Cela illustre à mon sens comment le regard agit comme une "ancre pour l'action" (7).

On connait aussi les liens étroits entre le regard et l'attention et l'on peut considérer le regard comme étant l'émergence corporelle de notre attention (8). De fait, l'attention est déterminante pour notre marche et cela est mis en évidence lorsque nous effectuons des doubles-tâches (5) : par exemple, si vous marchez et commencez simultanément à réaliser une autre activité, telle que parler au téléphone, est-il probable que vous ralentissiez votre marche ? Peut-être observez-vous aussi que plus la conversation est complexe et plus vous ralentissez ?

Nos capacités attentionnelles étant limitées nous avons besoin de trouver des stratégies pour maintenir des ressources attentionnelles suffisantes pour notre marche. Lorsque les ressources attentionnelles allouées à la marche sont insuffisantes nous nous exposons à des chutes et à des accidents. Cela peut arriver lorsque nous multiplions les référentiels attentionnels (par exemple regarder un écran en descendant les escaliers) ou lorsque nous changeons de référentiel attentionnel, ce qui nous demande un temps d'adaptation suffisant pour trébucher.

Cela peut se produire également lorsque nous vieillissons, le déclin cognitif augmentant le risque de chute (9). C'est l'une des raisons pour lesquelles la qualité de notre marche est considérée comme un indicateur de notre santé.

La marche consciente, une pratique pour le quotidien

Notre attention est ainsi une ressource précieuse : elle peut nous connecter à l'espace environnant, à notre destination tout comme à une personne au bout du fil, à nos souvenirs, à nos sensations corporelles, à nos rêveries, etc.

Par sa nature, l'attention a une tendance à la dispersion et en ce cas elle pourra nous manquer pour marcher avec sûreté tout comme pour réaliser avec satisfaction nos activités quotidiennes.

Les pratiques méditatives s'intéressent alors à la renforcer en exerçant le "muscle de l'attention". Les principes de ces pratiques sont applicables de manière simple à notre marche quotidienne et nous disposons ainsi en tout temps d'un moyen de retour à notre sérénité.

" Quand nous marchons, nous produisons l'énergie de pleine conscience. Au lieu de penser à ceci ou à cela, prenez simplement conscience du contact entre votre pied et le sol. L'attention à ce contact est vraiment porteuse de guérison. (...) Du salon à la cuisine, de la voiture à votre travail, prenez le temps d'apprécier chaque pas. Arrêtez de penser, arrêter de parler et toucher la Terre de vos pieds. Si vous appréciez chaque pas, votre pratique est bonne. " Thich Nhat Hanh (10)

En marchant ainsi avec attention, nous pouvons cultiver une philosophie de la présence : notre marche devient consciente et nos pas nous ouvrent l'espace de vie présente.

Compléments

Marcher en pleine conscience (livre) Thich Nhat Hanh

La simplexité (livre) Alain Berthoz

Un robot comment ça marche ? (vidéo) Jean-Paul Laumond

Bibliographie

(1) McGeer, T. (1990). Passive Dynamic walking. The International Journal of Robotics Research, 9(2), 62–82. https://doi.org/10.1177/027836499000900206

(2) Collins, S. H., Wisse, M., & Ruina, A. (2001). A Three-Dimensional Passive-Dynamic Walking Robot with Two Legs and Knees. The International Journal of Robotics Research, 20(7), 607–615. https://doi.org/10.1177/02783640122067561

(3) Hoffmann, M., & Pfeifer, R. (2018). Robots as powerful allies for the study of embodied cognition from the bottom up. Dans A. Newen, L. de Bruin, & S. Gallagher (éd.), The Oxford Handbook 4e Cognition (pp. 841-861). Oxford University Press.

(4) La marche, c’est toute une science! (2018). CNRS Le Journal. https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-marche-cest-toute-une-science

(5) Mirelman, A., Shema, S., Maidan, I., & Hausdorff, J. (2018). Gait. In Handbook of Clinical Neurology (pp. 119–134). https://doi.org/10.1016/b978-0-444-63916-5.00007-0

(6) Berthoz, A. (2016). La marche, le cerveau et l’espace: les géométries du corps en marche. Dans S. Chardonnet Darmaillacq (éd.), Le génie de la marche : poétique, Savoirs et Politique des Corps Mobiles (pp. 295-315). Paris: Hermann. https://doi.org/10.3917/herm.amar.2016.01.0295

(7) Berthoz, A. (2009). La simplexité. Paris : Odile Jacob.

(8) Spivey, M. J., & Huette, S. (2014). The embodiment of attention in the perception-action loop. Dans L. Shapiro (éd.), The Routledge handbook of embodied cognition (pp. 306–314). Routledge/Taylor & Francis Group.

(9) Zhang, W., Low, L., Schwenk, M., Mills, N., Gwynn, J., & Clemson, L. (2019). Review of Gait, Cognition, and Fall Risks with Implications for Fall Prevention in Older Adults with Dementia. Dementia and Geriatric Cognitive Disorders, 48(1–2), 17–29. https://doi.org/10.1159/000504340 

(10) Thich Nhat Hanh (2019). Marcher en pleine conscience. Pocket.



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